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Islam et laïcité, otages de ce qui ne les concerne pas.

Le terme « laïcité » est propre à certaines langues. Dans la majorité des langues, est utilisé le terme de « secularism », le « saecularismus » en latin dont la signification concerne la sécularisation de la société et/ou l’individu. Se référer à cette sémantique a son intérêt car cela renvoie à des situations, des cultures et évolutions différentes dans plusieurs pays tout en ayant ce fondamental commun : la neutralité de l’État et de l’ensemble des institutions publiques vis-à-vis des religions et des cultes. L’Etat doit garantir leur libre exercice sans discrimination et permettre à tout croyant de pratiquer son culte sans prosélytisme. Pour répondre à cet objectif, la laïcité ne peut pas se décliner au singulier. Il n’y a de véritable politique laïque que par sa déclinaison plurielle. Ce concept ne trouve sa légitimité qu’en prenant en compte les diversités tant historiques que culturelles

Pour plusieurs pays, la sécularisation de la société est supérieure à la proclamation de la laïcité. Ainsi, par exemple, la loi constitutionnelle de 1982 au Canada stipule dans la charte canadienne des Droits et Libertés: « attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Grâce à cette charte, l’Etat et les pouvoirs publics observent une relative neutralité et la non-discrimination envers l’exercice d’une religion quelconque. Et ce, sans que le Québec ne se soit doté d’un texte légal affirmant la laïcité de l’État. On ne considère pas, pour autant, le Canada comme étant un Etat religieux. Il en est de même, aux USA, du serment du Président, main droite levée et main gauche sur la Bible, concluant « Que Dieu me vienne en aide”.

L’approche de cette question tant juridique que sociétale est liée nécessairement à l’histoire, les évolutions spécifiques de chaque pays. Faire référence à un modèle, quasi monolithique en voulant qu’il soit reproduit n’a aucun sens. Comparer, oui, en cherchant à comprendre les diversités. C’est à partir de ces spécificités, de ces réalités historiques et les évolutions d’une société que les démocrates peuvent établir des orientations, des actions pour remettre en cause les Etats théocratiques et préserver la liberté de croire ou ne pas croire, de pratiquer ou non ses croyances religieuses. Comment accepter qu’au nom de la laïcité, on admette ou révoque le religieux à la tête du client, au gré des circonstances ?

L’exemple français : une « laïcité fermée » avec des conceptions fluctuantes dans son l’histoire

En France, la « séparation » de l’Eglise et de l’Etat a connu des fluctuations intéressantes et sont le signe d’évolution et parfois de régression en particulier sur la dimension de tolérance. Avant 1905, il s’agissait de sécularisation.

L’Edit de Nantes, un édit qualifiée de tolérance et promulgué en 1598 par le Roi Henri IV, garantissait la liberté de conscience dans le royaume pour les protestants suite à l’exaspération des querelles violentes et belliqueuses entre catholiques et protestants. Malgré ses applications inégales sur tout le territoire, il a constitué un tournant à la fin du XVIème siècle. C’était l’esprit de tolérance religieuse, d’une « laïcité de reconnaissance » sous une monarchie absolue où les sujets de Sa Majesté lui devaient obéissance quelle que soit leur croyance. Le Roi voulait préserver sa « sphère politique » par rapport au pouvoir de l’Eglise. Sa révocation en 1685, à la veille du siècle des Lumières, va mettre fin à cette tolérance par la monarchie autoritaire de Louis XIV. Il faudra attendre un siècle encore pour qu’en 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dans son article 10[1], mette fin aux discriminations religieuses des siècles antérieurs en réintroduisant la notion de tolérance religieuse, de reconnaissance des croyances diverses sous un régime républicain. Mais, 3 ans après, en 1792, cette tolérance disparaît et s’ouvre alors une période autoritaire avec comme corollaire l’interdiction radicale de toutes manifestations religieuses dans l’espace public (une sorte de déchristianisation) et les laissant confinées à l’espace domestique. En 1905, la loi sur la laïcité proclame en premier lieu la liberté de conscience[2]. Elle sera conforme à l’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Ainsi, les demandes d’absence scolaire en raison de fêtes religieuses (en particulier juives), l’aménagement des repas scolaires… sont acceptés. C’est une laïcité de reconnaissance que l’on retrouve actuellement dans plusieurs pays comme la Belgique, l’Angleterre, les USA etc. Mais cette loi française ne s’appliquait pas aux colonies, DOM TOM compris. Ce qui représente pour les départements français hors Métropole une discrimination. Était-ce pour « préserver » des spécificités sans tenir compte de la volonté des populations locales?

L’Etat colonial français au Maroc, avait abandonné l’esprit de la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de L’Etat : «au  Maroc en 1953, c'est pour combattre la colonisation occidentale que les femmes — avec la bénédiction des mouvements nationalistes et arabo-islamiques - déchirèrent leur voile en public sous l'œil paradoxalement réprobateur de la police coloniale [3]».

En 1958, Mehdi Ben Barka, dans son intervention auprès des cadres et militants du Parti de l’Istiqlal  rappelait en se référant aux nationalistes : « lorsque nous avons essayé de faire évoluer l’enseignement, le colonialisme s’y opposait refusant cette évolution et prétendant que l’introduction d’une quelconque modification dans l’enseignement de l’université traditionnelle était une atteinte à l’Islam. Il considérait également tout marocain qui désirait créer une école libre pour enseigner les mathématiques, la géographie et les sciences naturelles, comme une hérésie. Ces allégations et considérations émanaient de Boniface[4] et de ses acolytes qui se sont érigés en « défenseurs » de l’Islam. ». C’était, pourtant, plus de 40 ans après la loi de 1905 sur la laïcité en France qui ouvrait la porte à la tolérance religieuse et la liberté de conscience.

En France, l’intolérance religieuse s’affirme en particulier depuis les années 90 et connaît son apogée ou, pour prendre un terme de circonstance son apothéose, principalement après les actes terroristes odieux sans relation avec la religion et dans l’ignorance des religions le 11 septembre 2001 aux USA. La neutralité est mise aux oubliettes et se transforme en quasi animosité envers principalement la religion musulmane (lois de 2004 - 2010). En mobilisant la laïcité « presque exclusivement dans le cadre spécifique de la question musulmane ne risque-t-il pas de distinguer un groupe du reste de la communauté nationale et de transformer ainsi ce principe en un instrument de stigmatisation, voire de discrimination [5]». Dès lors, la laïcité est progressivement prise en otage de ce qui ne la concerne pas par un système politique qui refuse l’expression des diversités au nom de l’universalisme et par l’hypocrisie et la haine distillées par certains « politiques » volontairement médiatisés. Leur islamophobie n’a rien à voir avec la peur ou la haine de l’Islam. Ce n’est que racisme devant être condamné et pénalisé par les lois contre le racisme et les discours de haine. Et, d’un autre côté, la religion musulmane est prise en otage de ce qui ne la concerne pas par des terroristes ignorant toute religion. Des fourbes dangereux qui instrumentalisent la confusion entre laïcité et athéisme pour se développer en s’adressant et mobilisant des jeunes et moins jeunes en perdition de repères et souvent victimes de racisme.

Ces deux attitudes ouvrent la porte à l’institutionnalisation d’une dichotomie bien orchestrée entre deux mondes opposés : civilisation et archaïsme. La Civilisation et la Démocratie étant l’Occident et l’archaïsme et l’absence de démocratie étant l’Orient et l’Afrique.

Et, pour convaincre, quoi de plus pratique que d’utiliser des médias qui d’experts en experts, d’éditorialistes en éditorialistes nous expliquent cette différence entre l’Orient et l’Occident, entre Musulmans et le reste du monde. En 2017 Gilles Sacaze, « expert en sûreté et gestion des risques », invité par BFM-TV, déclarait: «  nous sommes en guerre, c’est deux idéologies, deux cultures, deux modes de vie qui se confrontent, et l’un des deux doit sortir gagnant et en l’occurrence ça doit être notre modèle occidental ».  C’était à propos de l’attentat de Barcelone (16 morts) qui eut lieu le 17 août 2017 après les attentats de la même année au Burkina Faso qui a fait 19 morts le 14 août et au Nigéria qui a fait 26 morts le 16 août. Est-ce en raison de leur mode de vie occidental que ces derniers auraient été tués [6]? C’est probablement contre l’indécence volontaire qu’il faudrait être en guerre.

N’est-il pas urgent pour tous les Etats, quelle que soit leur religion dominante, d’inscrire la neutralité religieuse dans leur constitution, signe d’une évolution vers la démocratie et la reconnaissance des libertés individuelles. Les femmes iraniennes, rejointes par les hommes, soulèvent, actuellement, cette revendication de manière exemplaire. Elles expriment leur indignation contre l’obligation de porter un voile. C’est l’expression d’une lutte contre toute atteinte à tous les droits. N’est-ce pas aussi un combat contre l’interdiction de porter le voile ? Il s’agit de droits que l’on ne peut saucissonner au gré des circonstances.

N’est-il pas salutaire, pour tous, de sortir de la conception étroite de cette laïcité française, une laïcité « séparatiste » qui, en définitive entrave la liberté de conscience et réconforte un amalgame improductif. Comment accepter, au nom de la laïcité, qu’on puisse admettre ou révoquer le religieux au gré des circonstances et «  à la tête du client »? Ne faut-il pas se rapprocher de la vocation initiale de la loi de 1905, « une laïcité ouverte », basée sur la liberté de conscience. La laïcité d’aujourd’hui s’en éloigne. Dans le combat pour la liberté et la démocratie, il est nécessaire de s’écarter des discours extrémistes tant « religieux » que « laïques ». Ne faut-il pas se doter comme le disait Régis Debray d’une « laïcité d’intelligence » destinée à intégrer et non à exclure.

Hayat Berrada- Bousta

Rédactrice du site Maroc Réalités

https://www.maroc-realites.com/

 

[1] - « l’égalité entre les citoyens en matière religieuse, la liberté de conscience, la neutralité et la séparation de l’État et des Églises ».

[2] - « La République assure la liberté de conscience". Elle a pour corollaire la liberté religieuse, la liberté d’exercice du culte et la non-discrimination entre les religions. »

[3] - Ahmed Moatassime - « Femmes musulmanes entre « l'État sauvage » et les « cultures civilisés »- Revue Tiers-Monde- N° 97- Janvier-Mars 1984.

[4] Philippe Boniface, contrôleur de la Région de Casablanca en 1947 à 1953. Charles-André Julien a caractérisé son action de« paternalisme autoritaire [au] mépris de la légalité et ne concevait d’autre politique que la force » - Le Maroc face aux impérialismes : 1415-1956, (1re éd. 1978. P- 192-193).

[5] - Valérie Orange - « Laïcités dans le monde et approches plurielles des discriminations » - Journal du Droit Administratif (JDA) - 2017.

[6] - Cité dans l’article du Magazine ACRIMED (Action Critique des Médias) sous le titre « Les experts en expertise et les attentats de Barcelone » qui conclut : « l’occidentalo-centrisme contribue au désastre informationnel…et intellectuel ». - Octobre-Décembre 2017 


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